Sujet offert aux curieux éclectiques et aux étudiants en gastronomie.
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Merci d’avance et bonne lecture.
Mes plus vifs remerciements à Claude Huyghens et à Françoise Danrigal pour la qualité de leurs précieuses informations, la richesse de leur partage et l’excellence de leurs multiples ouvrages.
De la Préhistoire à l’Antiquité.
Le temps de l’escargot commence il y a plus de dix mille ans, juste après la grande époque du renne, une histoire qui se feuillette dans les couches archéologiques.
le réchaufement postglacaire provoqua l’extension considérable des forêts au détriment des grands espaces habités par les bisons, les rennes et autres grands herbivores.
Le territoire de l’homme se dépeuplant, celui-ci est contraint d’exploiter les ressources naturelles qu’il avait jusqu’alors ignorées.Il découvre alors la saveur de la chair d’escargot rôtie sur la braise ou les pierres du foyer.
En Suisse, les résidus de cuisine de cités lacustres ont livré des coquilles calcinées de cepea nemoralis (notre escargot de jardin), et quelques autres espèces.
En Haute Provence, on trouve des amas de coquilles sur les sites aziliens.
La cargolade de l’arc alpin précède de peu la suçarelle dont les témoignages les plus anciens ont été découverts à Tebessa, en Algérie : petite innovation du néolithique tardif, les coquilles ont percées au sommet à l’aide d’un poinçon en os en sorte de mieux en aspirer le contenu.
Puis vient le temps de la civilisation et de l’écriture.
Ces coquilles que les anciens appellent hélices retiennent d’autant plus l’attention des lettrés qu’elles se mangent et Aristote, Horace, Pline l’Ancien, Varron ou Dioscorides en parlent dans leurs traités d’histoire naturelle ou de médecine. Sensibles au goût du terroir, ils précisent les provenances : Sardaigne, Lybie, Sicile et Chio ; un grand limaçon vient déjà de Turquie et le pomotias que nous appelons bourgogne arrive des Alpes liguriennes. Le petit-gris n’est pas nommément cité, mais c’est vraisemblablement lui que les navires romains vont chercher en grandes quantités sur lepetits côtes d’Espagne et d’Afrique.
Expédiés à grands frais de tous les coins de l’empire, les limaçons jouissent d’une grande renommée.
On prend le soin de les engraisser à la farine, au vin et aux herbes aromatiques avant de les préparer en cuisine.
Pendant la guerre du grand Pompée, un certain Fulvius Hirpinus invente les premiers enclos spéciaux que les auteurs du Moyen-Age citeront en exemple sous le nom d’escargotières.
Apicius Coelius conseille de placer les escargots dans un vase contenant du lait salé le premier jour, puis dans du lait pur jusqu’à ce qu’ils s’en gorgent et ne puissent plus se retirer dans leur coquille. Alors on les fait frire à l’huile.
Il ne précise pas ce que tout bon mitron sait à Rome : en préalable à la cuisson à l’huile, les jeter dans l’eau bouillante ( ça ne vous rappelle rien ? “Trempez la dans l’eau, trempez la dans l’huile, ça fera un escargot tout chaud“… Promesse d’une friandise ancienne et appréciée).
Les descendants d’Homère ont jugé nécessaire de civiliser la grillade par le procédé du bouillon. La toute nouvelle marmite a imposé cette mode que l’escargot subit sans problème au contraire de nos viandes.
Timalcion, soucieux du paraître, se les fait présenter sur un gril d’argent.
On se sert d’une cuillère, la “cochlear“, dont le manche terminé en pointe permet de sortir l’escargot de sa coquille.
Côté santé, tous les bons auteurs considèrent qu’ils sont apéritifs, facilitent la digestion et sont même capables de ranimer l’appétit de convives alourdis par le vin. Pline l’Ancien (plus médecin que cuisinier) les conseille comme “un des meilleurs remèdes de l’estomac avec du vin, à la fin d’un repas, en même temps que le fromage blanc, le miel et les fruits“.
Au Moyen-Age.
Originaire de l’arc alpin, le bourgogne a été introduit en Gaule par les armées de César. On ignore s’il fait partie de l’ordinaire des troupes. On sait que les grognards de Napoléon en emportant dans leur bagage mais il est vrai qu’Appert leur a facilité la chose en inventant la conserve (mais on sait aussi que les romains savaient conserver dans l’huile, l’eau salée, le sel, etc.)
Au Moyen-Age, l’escargot s’impose comme excellent mets de Carême, propre à réjouir les moines convers. D’abbaye en évéché, l’escargot va conquérir l’Europe.
Il était fatal que sur cet itinéraire l’escargot rencontrât le vin. L’union a lieu dans d’énormes marmites qui, du matin au soir, frémissent au-dessus de l’âtre afin d’accueillir à l’improviste pélerins, nonces et seigneurs de passage. Mariage très catholique pour ce ragoût qui ne prendra le nom de “matelote” qu’au XVIIème.
Le plaisir du manger est propice à la création : des mains habiles et louangeuses installent le limaçon au fronton des églises et sur les enluminures. Tout porte à penser que la nouvelle soupe d’escargots plut aux visiteurs et que les plus curieux se renseignèrent sur la manière d’agrémenter leur ordinaire, particulièrement monotone à la fin de l’hiver.
L’escargot passe ainsi du couvent à l’office des riches. A ce moment-là, la friture est en vogue. L’escargot y saute, comme le mentionne le Mesnagier de Paris, ouvrage de cuisine écrit en 1393 selon lequel: “les limaçons, que l’ont dit escargoles, frits en huile, oignons et ambre, sont pour gens riches“.
On le conserve bouché (cf. volet 2 à propos de l’opercule), dans de la paille d’avoine, soit à la cave pourvu qu’elle soit saine, soit au grenier.
Du XVIème au XVIIIème siècle.
Rabelais confirme : la consommation d’escargots est devenue une institution de carême.
Selon Franklin, “on les sert encore dans une petite broche comme rognons“. Mais en 1654, Nicolas de Bonnefon s’insurge contre la consommation d’escargots, “ragoûts dépravés“, dont Charlotte-Elizabeth de Bavière, belle-soeur de Louis XIV, se régale à la cour. L’auteur des Délices de la Capagne est-il un original ou bien l’escargot est-il devenu le plat du pauvre, comme le signalera Diderot au XVIIIème ?
La grande timidité du mollusque dans les livres de cuisine, véritables inventaires des menus royaux, donne à penser que les grands de ce monde en sont privés.
En revanche, l’internationale des églises chétiennes a bien fait son travail. L’escargot s’est démocratisé et nourrit les populations à travers toute l’Europe.
A Ulm, des éleveurs en expédient sur le Danube quatre millions par an, en tonneaux de dix mille jusqu’au-delà de Vienne. Dans toute l’Italie, des gargottes les font cuire dans de vastes marmites en plein air. A Naples, des marchands ambulants parcourent les rues en portant sur la tête un brasero fumant encadré de pains et de fleurs en brochette. Pour quelques piécettes, le passant reçoit un sandwiche fumant qu’il dévore comme d’autres mangent des cornets de frites.
Du XIXème siècle à nos jours.
Au XIXème, l’escargot devient français : sa notoriété fait sa perte.
La réhabilitation de l’escargot a la table des puissants a lieu sous l’Empire. Talleyrand et Carême en sont les auteurs.
Par un coup d’éclat dont ils sont coutumiers, ils en font une spécialité française quand, en 1814, le prince recevant le tsar Alexandre 1er lui fait servir un plat d’escargots accompagné d’un carton portant la mention “escargots à la bourguignonne“, suivie du descriptif de la recette. Il n’en fallait pas plus.
Au sommet de sa gloire, l’escargot de Bourgogne va pourtant connaître ses premiers gros ennuis. Celui que l’on appelle encore l’escargot des vignes, car il est friand des jeunes pousses, s’attire la vindicte des maîtres de chais.
La destruction du nuisible est programmée par des campagnes d'”escargotage“.
Au même moment, il est âprement ramassé pour fournir le marché et l’industrie naissante de la conserve. La pression de chasse ne se relâchera plus. Soumis un peu plus tard aux traitements par désherbants, restreint par le remembrement des haies,l’escargot voit rétrécir son ancien domaine.
Arrive enfin le raz de marée des maisons secondaires équipées de voraces congélateurs. Le limaçon pourchassé met les bouts § On croit savoir qu’il est encore présent dans quelques isolats du territoire français. Il se serait ainsi réfugié dans les friches et bois de buis du Jura, ce pays sympathique où il pleut six mois de l’année, le reste du temps étant sous la neige 😉 . Heureux Franc-Comtois…
L’affaire aurait pu s’arrêter là.
Mais la notoriété gastronomique de l’escargot de Bourgogne étant solidement établie, il est importé dès la fin de la Deuxième Guerre Mondiale pour faire face à la demande croissante. Les pays exportateurs sont l’Allemagne, la Belgique et la Suisse.
En 1970, la source étant tarie, il faut aller chercher plus loin à l’est, en Hongrie, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Pologne et Roumanie. Malheureusement, son aire géographique n’est pas extensible : incapable de s’expatrier au-delà d’une ligne Riga-Odessa, il reste cantonné à la zone de climat continental et semi-continental européenne sans pouvoir migrer vers les régions méridionales et atlantiques. On songe tardivement à protéger l’espèce dans quelques pays.
En 1979, sa récolte est interdite en France en dessous de trois centimètres de diamètre et totalement prohibée du 1er avril au 30 juin pendant sa période de reproduction. Entre-temps, le marché a déjà passé la main. Exit le bougogne. Le turc, le charentais et le gros-gris d’Alger vont entrer en lice.
L’escargot turc, l’helix lucorum, dont la coquille est très proche du bourgogne, se prête à la substitution. Il vient de Crimée, Turquie, Bulgarie, Sud de la Yougoslavie et de l’Italie. L’étranger arrive congelé. L’affaire s’ébruite et provoque le tollé des amateurs de bourgogne.
La législation contourne l’obstacle par la circulaire du 8 aoüt 1978 sur les dénominations : l’helix pormatia a seul de droit à l’appellation d’escargot de Bourgogne, l’helix lucorum a droit à celle, plus restreinte, d’escargot. Le problème du congelé est ainsi joyeusement escamoté. Soyons juste, la chair de l’escargot supporte parfaitement l’opération. Dans le même temps, ce qui est plus grave, la mention de produit frais est détournée. Selon la législation, elle s’applique non à l’escargot mais au beurre. L’escargot congelé peut sans complexe être mis en conserve, préparé au beurre frais manié à l’ail et au persil. Il est dès lors dénommé “escargot au beurre frais“…
Parallèlement à l’arrivée des turcs sur le marché de l’escargot, on s’intéresse au petit-gris, l’helix aspersa, encore nommé l’escargot chagriné, le cagouille des Charentes.
Méchamment décrié au temps de la splendeur du Bourgogne, réservé à la seule consommation locale, il était jusqu’en 1935 exclu des circuits commerciaux. L’espèce d’origine méridionale, présente dès le quaternaire en Algérie, Corse, Italie et Côte d’Azur, a rapidement gagné les régions atlantiques de la France, de l’Espagne et du Portugal. Introduite en Grande-Bretagne peut-être dès le néolithique, du moins sous la Rome Antique, elle est prolifique, ubiquiste et étend son aire géographique. Au temps de la marine à voile, des marins portugais et espagnols prennent l’habitude d’en embarquer à bord comme “viande fraîche”. Il y a au port de La Rochelle des parcs de stockage, les escargotières, qui facilitent l’approvisionnement.
De cette façon, le cagouille charentais émigre aux Antilles, puis au Sénégal et s’adapte, hors de l’Europe,dans de nombreuses régions tempérées et subtropicales du globe où on le retrouve aujourd’hui.
Lorsque, dans les années 50, la disparition du bourgogne attire l’attention sur lui, le petit-gris, déjà bien installé dans la gastronomie méridionale, fait savoir au reste de la France qu’il relève le défi de la qualité gustative. Mal lui en prend, l’espèce se raréfie dans la campagne française des années 70. Qu’à cela ne tienne, on l’importe de Grèce, de Crète, d’Anatolie et du Proche-Orient. Les petits-gris étrangers arrivent frais ou congelés selon la saison et le pays. Pas plus que pour le bourgogne on ne s’inquiète de sa brutale raréfaction. On songe pourtant à l’élevage. On découvre qu’un variété géographique de l’espèce charentaise, le “gros-gris d’Algérie” originaire de Constantine, a la particularité de se prêter à l’élevage : six mois seulement pour devenir adulte ! Le métier d’éleveur d’escargots fait son apparition en France.
Le coût de production des escargots d’élevage reste supérieur à celui du ramassage, mais il met sur le marché un produit frais de grande qualité. Par ailleurs, il permet d’envisager plus sereinement le problème de la conservation de l’espèce.
Il est bien temps de sauver l’escargot : en 1974, l’achatine fait son apparition sur le marché. Transitant par la Belgique et l’Allemagne, la grosse coquille fusiforme est une espèce tropicale originaire du Sud-Est africain et Madagascar.
Dès les années 90, elle est exportée par les Philippines, Taïwan, la Chine Populaire, la Thaïlande, et accapare plus de 50% du marché international sous le nom d'”escargot achatine”, l’emballage devant obligatoirement présenter une illustration de la forme caractéristique de la coquille pour empêcher toute fraude. Son prix est extrêmement compétitif et sa chair caoutchouteuse à souhait n’a vraiment rien à voir avec celle de nos escargots.
Une fausse démocratisation d’un produit de luxe qui ne l’a pas toujours été parvient-elle à malmener le pouvoir de la gourmandise ? Pas sûr.
On l’a vu au long de son histoire, l’escargot se conjugue à toutes les sauces.
L’engouement parisien pour le bourgogne en coquille, bien que compréhensible, ne doit pas oblitérer la riche diversité des recettes de terroir. Aucune des inventions culinaires propres aux escargots ne s’est perdue.
Un miracle à honorer.
September 26, 2012
Categories: Cuisine . . Author: toiquejadore . Comments: 5 Comments