Le 29 avril 1687, une quarantaine d’hommes commandés par deux officiers entre dans Grasse, escortant une chaise à porteurs entièrement couverte de toile cirée.
Quelques maisons sont réquisitionnées et la chaise à porteurs fait halte dans une petite rue, non loin de la viguerie de la place Saint-Marthe. L’homme qu’on en voit sortir sous bonne garde est vêtu de brun et porte un masque de fer.
Une compagnie en armes qui se la joue discrète, un prisonnier en chaise à porteurs, un masque de fer… Difficile de ne pas attirer la curiosité.
Le lendemain matin, tout cet équipage prend le chemin du fort de l’île Sainte Marguerite où le détenu intègre sa cellule, un pièce de 30m² plutôt sombre, fermée par trois portes et éclairée d’une fenêtre haute protégée par trois rangs de grilles.
On essaie bien, en vain, de s’enquérir auprès de Monsieur de Saint Mars, adis mousquetaire dans la compagnie de d’Artagnan et nouveau Gouverneur du fort.
Saint-Mars qui vient de Pignerol, qu’il gouvernait auparavant ; Pignerol est alors une place forte sur le versant italien des Alpes, dont le donjon sert de prison d’état : y sont enfermés Nicola Fouchet, le comte de Lauzun. L’un meurt en 1680, l’autre est décédé l’année précédente, en 86.
Le mystérieux prisonnier vient lui aussi de passer 12 ans à Pignerol et va rester à Sainte Marguerite jusqu’en septembre 1698 où il rejoint la Bastille, dont Saint Mars vient d’être nommé Gouverneur.
Le détenu y décèdera cinq ans plus tard dans sa cellule claire de la tour de la Bertaudière.
On connaît tous les plus folles histoires qui ont couru sur cet inconnu au masque de fer et auxquelles Alexandre Dumas, Victor Hugo, Alfred de Vigny -pour ne citer qu’eux – ont apporté leur écot (ou leur écho, au choix).
La réalité est plus simple.
Le mystérieux inconnu est en fait un valet, Eustache Danger, coupable d’avoir surpris un secret d’importance (peut-être le projet de Charles II d’Angleterre -frère d’Henriette, la belle-soeur de Louis XIV – de se convertir au catholicisme et de ramener son pays dans le giron de l’Eglise romaine).
Eustache Danger a été arrêté à Calais en juillet 1669 par lettre de cachet, conduit céans au donjon de Pignerol et traité en prisonnier ordinaire avec une pension mensuelle modeste de 165 livres par mois (celles de Fouquet et de Lauzun sont de 500 et 600 livres).
Au fil du temps, le secret qui motive son incarcération semble perdre en importance et Danger, extrait de son cachot, servira cinq années Nicolas Fouquet, profitant de l’allègement du régime carcéral de son maître.
Quittant Pignerol, Saint Mars déplore de ne pouvoir conserver le prestige que lui accordait le rang de ses prisonniers, Fouche tet de Lauzun.
Frustré, il est saisi d’une frénésie de bavardage qui valorise et flatte sa vanité.
C’est ainsi qu’il crée de toutes pièces le personnage du masque de fer avec le mystère et les interdictions qui l’entourent (sans jamais avoir reçu de pareilles directives de Paris : interdiction d’ôter le masque, de parler à quiconque, de révéler quoique ce soit…), autour d’un prisonnier qui lui servira de faire-valoir.
Ainsi est né le mythe.
Hommage et remerciements à Jean-Christian PETITFILS, auteur de l’ouvrage passionnant, magistral et superbement documenté : “Masque de fer, entre histoire et légende” ( Perrin, Tempus), que je n’ai fait que citer.